monté sur le toit,on distinguait au loin la Tour
monté sur le toit,on distinguait au loin la Tour Eiffel.Mais ça n'avait pas duré longtemps,le petit
commerce était tombé en faillite et mon père était devenu un ouvrier clandestin du bâtiment tout
juste bon à entasser les parpaings,chômeur deux jours sur trois.
Ma mère est une oranaise du village nègre qu'on appelle comme ça je ne pas pourquoi car elle
a la peau aussi blanche que du lait de chamelle,une bête que je n'ai vue qu'au cirque ,le lait
le plus blanc d'aprés l'oncle Ahmed qui dirait n'importe quoi pour faire son intéressant.En toutcas
elle n'a pas le cheveu plus noir qu'Amalia,la pourtugaise du quinzième,à l'étage au-dessous.Je
m'en suis aperçu,un matin,le seul,où elle s'était levée en oubliant de nouer sonhijab.Ce village
"nègre" doit être un souvenir de l'époque des Deys de Turquie qui entassaient leurs esclaves d'
Afrique noire dans un quartier insalubre.Que dire d'autre de ma mère,sinon qu'elle était douce
et gentille,qu'elle se conduisait en servante de son mari et de ses trois fils et qu'elle faisait bien
la cuisine.Son seul défaut était d'être trop bavarde,un travers que j'ai hérité.
Mes parents se sont connus à Issy-les - Moulineaux.C'est là que je suis né,dans un des grands
ensembles qui n'ont de "cités" que le nom si l'on entend par là les vraies villes,celles qu'
habitent les français depuis plusieurs générations,celles où il fait bon vivre avec leur Centre,leurs
avenues ombragées,leurs restos et leurs cinémas.Moi,si je suis né français,,c'est à cause de la
double naissance en France,dont celle de mon père,né dansl'Algérie de Papa,mais j'ai bien peur
que ce soit uniquement pour la carte d'identité.En tout cas ce grand ensemble n'avait rien d'une
vraie ville.Les seules distractions étaient le terrain de foot et une maison de la culture où des
acteurs minables jouaient parfois des pièces d'avant-garde auxquelles je ne comprenais rien.
C'est aussi à Issy qu'a eu lieu le mariage de mes parents qui avaient été présentés l'un à l'autre
par des matrones.Il s"est déroulé dans la bonne tradition arabe.Il y avait toute une smala.Les
homme marchaient devant dans leurs djellabas neuves où quelques anciens combattants de
Cassino avaient accroché leurs médaillesLes femmes étaient derrière,hululant des you-yous
de leur agile langue pointue comme devaient le faire,pour attirer le client en poussant le cri du
loup,aux sombres limites de la ville,les putes de Pompéi.Au milieu la mariée trônait sur une sorte
de palanquin porté à bras d'homme.Elle était bien raide ssous sa coiffure empesée,les mains
rougies au henné,les yeux tartinés de kohl,avec un collier où pendait une main de fatma.Elle
devait étouffer enplein mois de juillet sous une lourde étoffe damassée,rehaussée de broderies
de fils de simili-argent et de faux or et de bijoux en toc.Elle était inondée deparfum à trois sous
comme la pute bon marché dont j'avais un jour,sans succés,loué les services pour tester ma
virilité incertaine.
Tout ça je le sais par Chérif,l'aîné de mes frères,qui avait droit à un statut spécial lui perrmettait
de recevoir les confidences et les souvenirs de notre père.C'est la tradition chez nous.Moi,de
la vie antérieure de mes parents je n'ai connu que cette "barre" qui de chocolaté n'avait que la
couleur de peau de la plupart des locataires.Mais j"ai oublié de tout vous dire,à savoir que ma
mère,au mariage,était déjà empâtée,grasse à souhait pour le grand bonheur de mon père qui
lui a fait six gosses en six ans,aprés ces noces qui se sont achevées au tam-tam des derboukas
dans le grand hôtel - restaurant du coin,le Marrakech..C'est tout juste si les invités;avant de
rentrer chez eux;n'ont pas exigé qu'on secoue à la fenêtre de la chambre nuptiale le drap rougi
de la mariée..Quand ils sont passés à la caisse;les époux se sont aperçus qu'ils étaient
endettés pour cinq ans;même en n'offrant que des gazouzes et de l'orangeade;à cause de
l'orchestre oriental et d'une belle danseuse du ventre,une chrétienne qui travaillait unpeu
partout,mêmeen Egypte.C'est l'addition qui a causé la faillite de mon père,cet homme d'honneur
qui tenait à être considéré par son entourage comme un bon payeur.Mais je crois qu'il aurait de
toutes façons connu la faillite,ce drôle decommerçant qui,àl'étal des tomates et des pommes,
laissait toujours le client choisirl les plus belles,celles de son "devant,en lui laissant sur les
bras les plus moches,les invendables,celles de son "derrière".C'était toujours comme ça,il
laissait toujours choisir,mon brave type de père.Quand on lui demandait si mon prénom,
Habib,se traduisait en français par Aimé ou bien par Désiré,il repondait toujours:"Ci com' ti
vô! Cit o choix".
Chez moi on ne parlait qu'arabe .C'était loin dêtre la langue du Prophète;notre vocabulaire
était un mélange d'arabe,de berbère algérien,de français,avec une pointe de sicilien..C'est cette
sorte de dialecte qu'on parlait aussi dans les entrées d'immeuble et sur les paliers des étages.
On y prenait plaisir à faire peur aux petits vieux avec notre accent de rhinocéros,en parlant
fort,en leur faisant des grimaces etmême en faisant semblant denous battre.Les têtes blanches
attendaient qu'on soit partis pour essayer de prendre l'ascenseur dont on avait déglingué la
machinerie rien que pour les embêter.C'est là aussi qu'on préparait un "coup" juteux et les
petits sachets blancs ou une expédition en règle pour punir les blacks de la cité à côté,ceux qui
nous faisaient concurrence pour le bisness de la drogue ou nous dénonçaient à la police de
proximité pour avoirl'indulgence du tribunal pour enfants.Enfin c'est notre langue bâtarde
qu'on employait pour morigéner(un joli mot qui me plaît bien) nos petites soeurs en mettant
un peu de plomb dans leurs têtes sans cervelle.Y'en avait qui avait des jupes,toujours noires
comme si elles étaient en deuil de leur pucelage,si courtes qu'en se baissant elles montraient
leur cul,sans parler des bazouls,ces petits nichons qui avaient l'air de vouloir s'envoler des
soutien-gorges en toile d'araignée..Parfois ça se terminait par une râclée dans le local à
poubelles,à coup de manches à balais ou de battes de base-ball,jusqu'à ce qu'en chialant
elles demandentqu'on arrête.Un jour il y a eu une morte:celle qui a été brûlée vive par un copain
dont elle ne voulait plus.C'était encore plus grave que le jour où le gardien d'immeuble a
prévenu les keufs que,dans une cave,une "tournante" tournait mal parce que la fille avait bien
voulu pour le premier mais pas pour les suivants qui avaient pris la file à l'extérieur.
Comme tous mes copains,saut le fayot à qui un vieil instit' socialiste a prédit qu'il serait un
jour ministre de la République,j'ai été un trés mauvais élève dés lecours préparatoire.Elle ne
dira pas le contraire ,la petite blondasse qu'on a envoyée en congé de six mois pour dépression
aprés seulement huit jours de classe,un record paraît-il..Pendant qu'elle écrivait au tableau,on
rotait,on pétait,on faisait des grimaces dans son dos.Certains faisaient même semblant de se
branler au fond de la classe ou lui faisaient des "doigts".D'autres la raccompagnaient au bus
en prétendant la protéger.On espérait être débarrassé pour toujours de ces pourris d
'
instit'.Hélas,ça a été une autre paire de manches avec le remplaçant,un karatéka velu comme
un ours.Avec la bénédiction des parents il a envoyé au tapis deux ou trois de ceux des quarante
zèbres qui couraient moins vite que lui.
A seize ans a pris fin ma scolarité obligatoire.J'y suis resté fidèle jusqu'au C.M.2. lorsque l'école
m'a plaqué plus que je l'ai quittée,sachant tout juste lire,écrire et compter sur mes doigts,sans
être capable de résoudre une fraction ni de faire une règle de trois.Mais c'est pas pour ça que
je suis allé plus loin que Alif,Bâ,Tata ou Ouahed,Zouj,Tléta.Bien que je sois assez costaud pour
rouler des mécaniques,je n'ai réussi dans aucun sport.Je trouvais ça trop fatigant.Pas davan-
tage dans le rap ou le slam,trop virils pour ma voix de flûte.Dés que j'ai eu fini d'emmerder mes
maîtres la rue m'a repris à plein temps car c'était mon élémént naturel,mon "liquide amniotique"
d'aprés le psy àl'air cinglé à qui m'avait envoyé cette conne d'infirmière scolaire,en désespoir de
cause..J'ai traîné un peu partout où il y avait à se faire du fric,du flouze,du pèze,surtout aux
Champs.Ils me fascinaient tant,le soir,avec leurs vitrines flamboyantes,que je me mettais souvent
dans la queue des manifs pour me servir aprés avoir cassé les vitrines à coup de pieds.Mais le
plus souvent c'est pas trés loin de chez moi,au cas où il me faudrait opérer un repli stratégique
que je "travaillais" en chapardant dans les grandes surfaces sous le nez de vigiles assez cons
pour confondre un gamin trop bien sapé avec un client.J'en ai mis le feu,à des voitures,le
samedi soir,parfoisà la demande des propriétaires qui voulaient toucher l'assurance et,en
attendant,me donnaient un beau pourboire.Surtout pour les fêtes chrétiennes de fin d'année
qu'il fallait bien célébrer par un grand feu d'artifice.J'en ai caillassé,des docteurs,des infirmiers,
des pompiers et des keufs,pour les empêcher de faire leur boulot,uniquement pour m'amuser
Surtout les keufs,parce qu'ils avaient la sale manie,passé minuit,de me demander mes papiers
aprés une toute petite émeute où ces femmelettes n'avaient eu que quelques blessés,parce que
jj'avais remonté ma capuche pour ne pas prendre froid,comme je l'avais promis à ma mère et
je le leur expliquais.